16 Octobre 2023
Ci-après la critique de Jacques Morice (Télérama)
L‘idiotie n’exclut pas la finesse. Voyez les frères Coen, habitués à redonner à cette tare toutes ses lettres de noblesse. Même lorsque leurs idiots se comportent en grossiers personnages, la vulgarité n’est pas de mise. Pas de caca-boudin ni de salacité. Rien d’explicite, sinon une petite spécialité maison pour agrémenter le plaisir de madame – un rocking-chair avec option turgescence !
L’esprit est à la pantalonnade, à la parodie du film d’espionnage, étant entendu que les secrets concernent surtout l’alcôve. Un agent de la CIA, brutalement licencié pour avoir un peu trop levé le coude, décide d’écrire ses Mémoires. Il est un objet de risée pour sa femme qui, non contente de le tromper effrontément, lui dérobe son disque dur contenant son manuscrit et des tas d’informations confidentielles. Ce disque se retrouve par hasard entre les mains de deux employés d’un club de fitness qui, l’une par appât du gain, l’autre pour le fun, s’improvisent maîtres chanteurs.
L’histoire tourne au salmigondis absurde où se télescopent des univers qui n’ont rien à voir : celui, feutré et guindé, de la CIA, et celui du club de gym à l’ambiance tapageuse. La ronde des personnages forcément hauts en couleur est interprétée par du beau monde : George Clooney, John Malkovich, Tilda Swinton, Brad Pitt, Frances McDormand. Le premier est en terrain connu, c’est sa troisième collaboration avec les Coen, après O'Brother et Intolérable Cruauté. Il est ici volontairement l’ombre de lui-même : une doublure de sex-symbol, un érotomane minable doublé d’un fanfaron pleutre. C’est surtout Brad Pitt qui est irrésistible, en ado attardé, marié à son VTT, toujours en train de suçoter un truc. Avec son look eighties (brushing et maillot rouge moulant), il est la meilleure contre-publicité qui soit pour le sport.
Les frères Coen savent toujours égayer la lose, les déconvenues, les cafouillages grotesques finissant en eau de boudin ou en carnage. Dans ce grand-guignol, les hommes, tous machos vaniteux, en prennent pour leur grade. L’espion le plus performant s’avère être une espionne par accident, un peu larguée question histoire (elle va voir les Russes pour dealer ses infos), mais prête à tout pour son opération de chirurgie esthétique. Certes, on a déjà vu scénario plus replet.... Mais cela suffit à justifier la confusion des pontes de la CIA, ahuris, incapables de raccorder les fils de cet imbroglio sans queue ni tête. De la part des Coen, c’est sans doute une petite chose anecdotique. Au regard du tout-venant, c’est une réjouissance.
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