27 Octobre 2016
Le grand metteur en scène européen dont nous venons de voir ou revoir le superbe Ivanov à l’Odéon avec Micha Lescot dans le rôle principal, s’est éteint le 28 novembre 2015 à Zurich où il était né, il y a soixante-sept ans.
Il appartenait à une famille juive issue de la Mitteleuropa
Son grand-père avait dirigé le Théâtre de Prague et connu Kafka. Son père, journaliste et intellectuel, s’était réfugié à Zurich pour fuir le nazisme.
Mais c’est en France que Luc Bondy, né en 1948, passera la plus grande partie de son enfance, de son adolescence et croisera dans l’appartement familial les plus célèbres écrivains de théâtre de l’époque, Ionesco, Gombrowicz, Duras, Cioran…
Mauvais élève au lycée où il ne tient pas en place, il arrête son cursus sans avoir obtenu son Bac et entre à l’École internationale de création théâtrale Jacques Lecoq, fondée à Paris en 1956. Elle forme les artistes du théâtre : auteurs, metteurs en scène, scénographes et comédiens au nombre desquels on aimera retenir Ariane Mnouchkine.
Les débuts
En 1969, à vingt et un ans, il part en Allemagne qu’il découvre encore marquée par les traces de la Seconde Guerre mondiale et commence à travailler dans le théâtre.
Dès 1971, il signe ses premiers spectacles et monte des auteurs contemporains comme Witkiewicz, Genêt ou Fassbinder.
Les années suivantes, il mettra en scène Büchner, Ionesco, Goethe, Edward Bond, Shakespeare, Tchékhov et Botho Strauss, qui deviendra l’un de ses meilleurs amis.
La renommée
Sa renommée est telle qu’il est sollicité pour rejoindre le collectif de la Schaubühne où il travaillera avec les plus grands comédiens et se confrontera à des metteurs en scène aux styles très opposés.
Là, à Berlin, la ville déchirée par le Mur où l’on vit avec une intensité unique, il se sent chez lui, déchiré lui aussi par la maladie : on vient de lui découvrir un cancer qui le poursuivra toute sa vie.
La nécessité d’être dans l’instant et de créer comme si c’était la dernière fois marquera toute la trajectoire et les mises en scène de Luc Bondy.
En France où il est invité par Patrice Chéreau, qui dirige alors le Théâtre des Amandiers à Nanterre, il crée la sensation en montant Terre Etrangère d’Arthur Schnitzler en 1984 : redécouverte d’un auteur autrichien et découverte d’un grand metteur en scène.
Il continuera sa carrière entre Paris et Berlin, en passant par Vienne, où il dirigera de 2003 à 2013, son prestigieux Festival.
Enfin, en mars 2012, il est nommé à la tête de l’Odéon-Théâtre de l’Europe où doit encore se jouer son Tartuffe avec Micha Lescot en mars 2016.
Peter Handke : Il y a de la grâce dans ses livres. Dans son théâtre, il y avait une universalité, quelque chose hors du temps, et de tous les temps…
Interrogé dans Le Monde en janvier 2015 sur la complexité de sa vision du personnage d’Ivanov, il pense que :
- S’il y a une vérité qui surgit, ce n’est pas parce que tout a été aplani, bien au contraire, mais parce que tout a été fouillé. Pour moi, Ivanov est aussi une pièce sur l’antisémitisme – ce qu’on appelait avant l’Holocauste – l’antisémitisme de salon. Ivanov a épousé Sarah qui, parce que convertie par amour, se fait déshériter et qu’il menace de traiter de «sale juive». On sait d’ailleurs que Tchekhov était un ardent dreyfusard, ce qui était alors assez rare en Russie.
Luc Bondy ne cherchait pas à révolutionner le théâtre :
- Il l’habitait à la façon d’une maison où tout vibre, tout bruit, crie ou chuchote, pleure ou aime. Il nous faisait entendre et sentir toutes les palpitations de la vie.
Il a signé une soixantaine de mises en scène et préparait celle d’Othello.
Il lisait énormément, on le voyait toujours un livre à la main et il est aussi un écrivain : 1999 Dites-moi qui je suis, 2009 A ma fenêtre.
Luc Bondy était une personnalité exceptionnelle. Il laisse un grand vide.
Jeannine Mugnier
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