27 Octobre 2016
Touche pas à la laïcité !
Dans le n° 95 de la revue Philosophie de décembre 2015 sont interrogés trois philosophes Catherine Kintzler, Marcel Gauchet et Elisabeth Badinter* à propos de la laïcité.
Afin de tenter de contrôler les dérives de l’islam, Marcel Gauchet affirme qu’il faut redéfinir la loi de 1905 et la laïcité en fonction des problèmes spécifiques posés par la religion musulmane. À l’opposé, Catherine Kintzler s’inquiète d’une remise en cause de cette loi et Elisabeth Badinter s’affirme partisane d’une laïcité ferme combattant le fanatisme salafiste.
Marcel Gauchet :
Redéfinir la laïcité et reprendre la main
[…] « La laïcité du début du 20e siècle avait pour but de pacifier les relations entre les catholiques et la République. Maintenant, il s’agit de pacifier les relations entre les musulmans et la République.
Nous devons redéfinir les règles générales de la laïcité en fonction des problèmes particuliers que pose la religion musulmane.
Ces règles sont faites pour s’appliquer aux autres religions tout autant. Sauf que les terroristes inspirés par le catholicisme, le judaïsme ou le bouddhisme ne sont pas vraiment un danger !
Nous savons pertinemment qu’une partie des imams nous arrivent du dehors, émane d’une mouvance fondamentaliste et constitue le terreau du djihadisme.
Nous savons que la contestation de l’égalité homme-femme est le cheval de Troie d’une remise en question qui va beaucoup plus loin.
Entre l’ouverture et la fermeté
Sur tous ces points, il nous faut reprendre la main. C’est en France qu’il faut former le personnel ecclésiastique, avec le souci de développer la conscience critique.
C’est avec une vue claire de leur enjeu qu’il faut traiter les revendications qui concernent la condition féminine. Après, tout est affaire de réglage entre l’ouverture et la fermeté. »
Catherine Kintzler :
Laïcité : principe et régime
[…] « Ce n’est pas en sacrifiant la laïcité sur l’autel du terrorisme qu’on gagnera. Le régime de laïcité est souvent confondu avec le principe de laïcité.
Le régime repose sur l’articulation de deux principes indissociables. D’une part, ce qui participe de l’autorité publique est tenu à l’abstention au sujet des croyances et des incroyances. D’autre part, partout ailleurs, y compris en public, c’est la liberté d’expression qui s’exerce, dans le cadre du droit commun.
D’où des abus qui reposent sur le même mécanisme : on prend l’un des principes et on prétend effacer l’autre.
Une double dérive
Une première dérive consiste à vouloir étendre à l’autorité publique le principe qui vaut pour la société civile : ce sont les tentatives d’accommodements à une nouvelle religion. L’autre dérive, c’est de vouloir appliquer à la société civile l’abstention que la laïcité impose à l’autorité publique : position qui prétend nettoyer l’espace social de toute visibilité religieuse. […]
La laïcité maintient l’articulation des deux principes et la respiration que constituent ces deux espaces. Alors, changer en quoi ?
C’est aux religions de s’adapter à la laïcité en renonçant à leurs visées politiques
Les lois laïques posent plus de libertés que ne l’a fait aucune religion. Prétendre que la laïcité s’applique mal à l’islam, c’est fétichiser la version la plus rigide de cette religion. […]
Le problème n’est pas la laïcité, mais celui de la volonté politique.
Après des années de laisser-aller dans l’application de la laïcité, on nous propose de la détruire ! Il suffit d’appliquer les lois sans état d’âme : sanctionner les prêcheurs de haine, dissoudre les associations cultuelles qui les soutiennent – la loi de 1905 le prévoit –, être rigoureux dans les services publics, reconstruire une école qui instruise. […]
Financer les mosquées avec l’argent public pour éviter les financements étrangers ? Ce serait placer la liberté de culte au-dessus de la liberté de conscience et un cadeau public n’empêcherait pas les cadeaux privés. Surtout, cela viendrait à reconnaître les religions comme étant d’utilité publique. Ce qui reste à prouver. […] »
Elisabeth Badinter :
Une terrible pression du fanatisme
[…] « Devant cette pression, il y a nécessité de résister, or la gauche a lâché prise : elle a ainsi perdu son âme… et beaucoup d’électeurs. Ceux qui vivent dans les quartiers populaires se sont sentis abandonnés. Certains ont cru – ce qui était respectable – que donner la possibilité aux gens d’exprimer leur foi relevait d’un perfectionnement de la démocratie. Mais on a aussi voulu capter des voix et accepté, au nom de la tolérance, pour les musulmans ce qu’on refusait aux catholiques il y a un siècle. C’est ressenti comme une trahison.
Je crois donc j’existe a remplacé Je pense, donc je suis.
L’Occident a remis en question la famille, le mariage, le sexe, la nation, l’identité, etc. et subit la crise économique. Quand tout sombre, vous vous tournez vers l’opium religieux ; une solide pratique vous redonne communauté et identité.
Un contrôle plus strict du culte musulman
Depuis au moins deux ans, j’appelle à un combat réel contre le fanatisme salafiste. Je trouverais donc normal que l’on dissolve les mosquées où l’on prêche la haine – une cinquantaine aujourd’hui. Ces lieux sont des foyers de radicalisation. Il faut contrôler la conformité des discours qui y sont tenus aux principes républicains. Si cela exige de former les imams et d’organiser le culte, je n’y vois pas d’objection. C’est le meilleur moyen de protéger la majorité des musulmans qui vivent tranquillement et n’en peuvent plus.
Il faut combattre le fanatisme à sa source. […] »
Synthèse Christiane Galili
* Marcel Gauchet est philosophe, historien, directeur d’études à l’EHESS, rédacteur en chef de la revue Le Débat. Catherine Kintzler est philosophe, spécialiste de l’esthétique et de la laïcité, professeure émérite à Lille III et Elisabeth Badinter est philosophe, femme de lettres et féministe…
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