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La Lettre N° 112

La Lettre N° 112

LE BILLET

Le sujet de mon dernier billet de l’année aurait dû être la 75e commémoration de l’insurrection du ghetto de Varsovie au mois d’avril. En 2017, j’ai assisté à trois cérémonies, organisées par des associations amies ! Nous avons proposé, au Centre Medem, à la MCY et à l’UJRE, qu’en 2018, elle soit commune. C’est en bonne voie.

Les évènements politiques tels que l’annonce unilatérale du déménagement de l’Ambassade des États-Unis à Jérusalem me contraignent à parler aussi d’autre chose. Que va devenir notre espoir de deux peuples, deux états ?

L’entrée de six ministres néo nazis – dont trois régaliens – dans le gouvernement autrichien pose bien des questions. Le silence de L’Europe est assourdissant. Bien sûr, je sais que l’Union à vingt-cinq d’aujourd’hui est différente de celle de l’année 2000. À l’époque des sanctions ont été votées par quatorze pays contre le quinzième.

Vers quelle nouvelle catastrophe allons-nous ?

Que ces événements, bien qu’anxiogènes, ne m’empêchent pas de vous souhaiter à chacun, une très belle année 2018, dans un monde en Paix avec santé, joie et prospérité.

Suzon Pikorki

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ÉCLAIRAGE

Chronique d’Allemagne

par Joseph Kastersztein

Il est très difficile de comprendre ce qui se passe en Allemagne, tant dans la vie économique que politique, sans considérer les particularités culturelles. La principale différence avec la France réside, à mon sens, dans la manière de gérer les tensions, les litiges, les conflits.

La culture française est conflictuelle

Nous ne savons pas gérer les tensions. Le terme est d’ailleurs presque toujours confondu avec la notion de conflit. Tant dans les familles que dans les entreprises, en France, les tensions ne sont pas gérées. On les laisse s’accumuler. Elles ne sont même pas perçues.

Lorsqu’on interroge des managers sur l’état de l’équipe qu’ils dirigent, ils vous répondent que tout va bien…, car il n’y a pas de conflit.

Lorsque les tensions atteignent un niveau élevé, proche du seuil [voir le schéma ci-dessous, flèche bleue] le conflit devient la seule stratégie possible de gestion. D’où la tendance à accélérer la venue de celui-ci. La France est certainement le pays le plus habitué – efficace ? – à traiter les conflits. De fait, elle paie les conséquences coûteuses d’une telle pratique : négociations difficiles, blocages, rapports de force, chantage et… fermentation du prochain conflit.

Recherche de consensus

De plus la conception culturelle française de la négociation est la recherche de ce que nous appelons consensus. Or celui-ci s’obtient presque toujours par le fait qu’un des protagonistes impose à l’autre sa solution. Donc dans un rapport de force.

Ceci motive celui qui a perdu à, lors d’une prochaine confrontation, prendre sa revanche. Ainsi se structurent les relations dans le temps. Combien de situations conflictuelles sociales ou familiales sont-elles la prolongation différée de crises passées ?

Gestion allemande des tensions

À l’inverse, la culture allemande développe une stratégie de gestion des tensions par la recherche, non pas de consensus, mais de compromis. Dès que des tensions un peu fortes apparaissent, les protagonistes communiquent, négocient et recherchent la réponse acceptable par les deux parties. Le conflit est ainsi évité dans la majeure partie des situations tensionnelles. Le principal avantage d’une telle méthode est que les rancœurs et la volonté de revanche n’ont pas leur place.

L’inconvénient : en cas d’échec, un conflit très dur qui laisse des traces s’installe. Est-ce un comportement récent, lié aux guerres du 20e siècle, ou un pattern* plus profond ? Je ne peux le dire. C’est en ayant toujours à l’esprit, en arrière-plan, cette différence fondamentale qu’il est possible de décoder ce qui se passe actuellement dans la vie courante et sur le plan de la politique intérieure allemande.

Bref rappel : l’Allemagne est divisée en 16 Länder – régions – d’importance inégale, qui ont une réelle autonomie. Chacun est dirigé par une assemblée élue et par un gouvernement local.

Au niveau national deux structures, équivalentes à notre Sénat et notre Assemblée nationale, représentatives dirigent le pays : le Bundesrat et le Bundestag.

Le Bundesrat est composé de 69 membres désignés par les gouvernements des Länder.

Le Bundestag quant à lui comporte 709 députés, élus selon un mode de scrutin proportionnel dit plurinominal. Chaque électeur effectue deux votes.

Au premier vote, il choisit un candidat de sa circonscription. Le candidat qui reçoit le plus de voix dans celle-ci reçoit un mandat direct pour le Bundestag.

Au deuxième vote l’électeur choisit un parti dont les candidats sont rassemblés sur une liste nationale.

Les résultats des dernières élections :

Parti

% de voix

Nombre d’élus

Union - CDU-CSU de Merkel, conservateurs

32,9%

246

SPD - de Schulz, sociaux-démocrates

20,5%

153

AfD - extrême droite

12,6%

 

94

 

FDP - libéral démocrate, droite

 

10,8%

 

80

Linke - gauche radicale

 

9,2%

 

69

Grüne - centre gauche, écologiste

 

8,9%

 

67

 

Autres petits partis

5,1%

0

 

100%

709

La majorité se situe à 355 voix.

Une seule fois en 1957 un parti : l’Union CDU-CSU, a eu la majorité absolue.

La coalition, les alliances sont donc la norme dans ce pays. Même si le parti arrivé en tête – alternativement CDU-CSU et SPD – a un poids décisif, les plus petits partis ont une influence non négligeable sur les choix politiques. Tous, sauf l’AfD dont nous parlerons dans la prochaine rubrique, ont déjà participé à un gouvernement national.

La difficulté actuelle de la chancelière Angela Merkel

Elle est due au fait qu’elle doit, pour constituer une majorité stable, trouver plus d’une centaine de voix. Ce qu’elle ne peut atteindre qu’en faisant une alliance soit avec le SPD, soit avec au moins deux autres partis. La tâche est rendue très ardue par la décision du FDP de ne pas participer et par la volonté très claire de ne pas gouverner avec l’AfD.

Le SPD, qui a beaucoup souffert de sa participation à la grande coalition avec la CDU-CSU, est tenaillé entre deux mauvais choix : soit poursuivre la même coalition et se voir phagocyté par son allié, soit refuser et prendre la responsabilité d’une crise sans précédent depuis 1949. De plus, compte tenu des aspects culturels dont nous avons parlé, il trahirait le modèle relationnel dominant auquel les Allemands sont très attachés. Ce qui est inconcevable. On peut donc prédire que ce qu’on appelle ici La grande alliance sera reconduite.

Il est intéressant de noter que cette problématique de coalition est également présente dans la quasi-totalité des Länder, un seul, la Bavière, est gouverné par un unique parti : la CSU. Les autres : 7 SPD, 6 CDU, 1 Grünen, 1 Linke ont formé des alliances.

Un tel fonctionnement politique nous paraît étrange, car il ne correspond ni à la logique majoritaire de la Ve République ni, contrairement à ce qui a été affirmé après l’élection de Macron, à une disparition des clivages gauche-droite.

Cependant certains expliquent la montée des extrêmes par l’ambiguïté de la politique de Merkel quant à son positionnement à droite ou à gauche, en particulier sur les sujets sociétaux.

La notion d’intérêt général déterminerait-elle plus les décideurs politiques en Allemagne qu’en France ?

J.K.

président de l’AACCE de 1993 à 2007, psychosociologue

Avec mes remerciements à Pierre Winz pour sa relecture.

 

* modèle

 


 

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